Bilan et perspectives des boutiques solidaires du Secours Catholique. Angelina Lucazeau nous répond.
Les boutiques solidaires sont présentes sur tous les territoires où le Secours Catholique opère, permettant à des familles ou des personnes isolées de se procurer à moindre coût de quoi se vêtir. La demande a évolué, l’offre aussi, et c’est pour nous l’occasion de faire un bilan de cette activité phare, riche d’expériences et d’innovations, avec l’aide d’Angelina Lucazeau, longtemps animatrice du territoire Vallée du Rhône dans le Gard, et récemment nommée à la Coordination du programme de réemploi solidaire et économie circulaire.
Quel est l’historique des boutiques solidaires au SCCF?
A-L : Le Secours Catholique est créé en 1946 par Monseigneur Rodhain pour porter secours partout où le besoin se fait sentir. Au lendemain de la guerre, le besoin est partout. Dans cette optique ont alors été créés des « vestiaires », où des vêtements reçus étaient donnés à ceux qui en avaient besoin.
Puis vers les années 70, certaines délégations ont créé des « vestiaires à participation ».
Dans les années 80, le Secours Catholique encourage des structures d’insertion par l’activité économique qui donne lieu à la naissance de « Tissons La Solidarité » en 2006.
A partir des années 2000, dans certaines délégations apparaît le concept de « Boutiques Solidaires » : un lieu ouvert qui permet d’accueillir et de développer la rencontre, le vêtement créant du lien social. Mais ces Boutiques se développent de manière très différente et en 2014, le Secours Catholique réunit des groupes de travail afin de réfléchir à un Label Boutiques Solidaires qui aboutit à la mise en place d’une charte nationale et d’un guide de bonnes pratiques. Tout ceci avec une optique de communication et de partage au sein du réseau des Boutiques Solidaires.
En 2020, un groupe de travail national textile est mis en place avec des contributions d’une douzaine de délégations et des représentants qui ont différents rôles (vice-président, animateurs, responsables boutiques).
Sur la période de 2020-2021, ce groupe de travail a permis de produire des outils pour les boutiques fixes, à destination des animateurs visant :
- À simplifier la démarche de transformation des vestiaires vers des boutiques solidaires
- A proposer une analyse du contexte local via un questionnaire simple et des leviers de dynamisation correspondants
- À sensibiliser à la pollution textile, et mettre en place 5 critères d’éco-responsabilité au niveau des flux textiles
Quels sont vos objectifs ?
A-L : Sur toutes ces facettes, l’objectif est de procéder par petits pas, en mode projets courts priorisés par les équipes elles-mêmes. Avec toutes ces possibilités, les équipes se mettent généralement en marche et bâtissent des projets.
Durant la période 2022-2023, le groupe de travail national a travaillé sur une approche territoriale, avec l’objectif de mettre en place un « modèle boutiques de niveau territoire » qui vise:
- La mise en réseau des boutiques fixes à l’échelle d’un territoire (dans le but de favoriser les pratiques et les échanges entre les bénévoles des boutiques)
- La diversification des boutiques à l’échelle d’un territoire pour toucher d’autres publics (ruralité, EHPAD, campus étudiants, …) ou couvrir des événements temporaires (Noël, rentrée scolaire, …) et ainsi mieux répondre aux besoins grâce à de nouveaux formats de boutiques (itinérante, éphémère, tiers-lieux, vitrine, internet en mode click and collect, …).
- A établir la cartographie des structures éco responsables d’un territoire (recycleries, ressourceries, ateliers de couture, start-ups, ..) vers lesquelles ré-aiguiller nos surplus (afin que ceux-ci soient au maximum réemployés ou réutilisés en local) et à affiner le tri en fonction.
Que représente cette activité textile ?
A.L / Aujourd'hui en quelques chiffres, le textile au Secours Catholique Caritas France, ce sont 738 lieux sur 65 délégations en France, représentant 260 vestiaires et 475 boutiques (dont 57 labellisés). En 2023, ce sont 7000 bénévoles engagés sur l'activité textile dans nos équipes. En écho à ces chiffres nationaux, il y a 10 lieux dans le Gard, 9 boutiques fixes et une boutique itinérante en expérimentation sur Bagnols sur Cèze. Seule une boutique est aujourd'hui labellisée (Label'boutik à Bagnols sur Cèze). Cette action représente près de 12700 heures de bénévolat portés par 103 bénévoles.
Quelles sont les évolution des besoins, des demandes, des offres en fonction de l’évolution de notre société, de la surconsommation, des vêtements de seconde main et de l’upcycling...
A.L / Une boutique solidaire ou un vestiaire, c’est le projet d’une équipe en mouvement qui s’interroge sur le contexte local, est à l’écoute, développe de la convivialité dans un esprit de fraternité, propose des ateliers et des manifestations pour aller plus loin avec les personnes accueillies. C’est une équipe en marche, qui va à son rythme mais qui est engagée dans des transformations permettant de rendre ces espaces dignes, fraternels, écoresponsables et en adéquation avec les besoins locaux.
En 40 ans, les volumes textiles ont considérablement augmenté : le nombre de vêtements achetés par les Français a doublé, passant de vingt-cinq à cinquante pièces par an et par personne.
L’augmentation des volumes de vêtements qui arrivent dans nos boutiques, résulte du modèle économique de la fast-fashion, qui a visé, ces dix dernières années, à mettre sur le marché de plus en plus en plus de vêtements à pas cher et à intensifier le nombre de collections.
L’industrie textile est une des industries les plus polluantes au monde juste après celle du pétrole. Le gouvernement s’est intéressé à cette problématique dès les années 2000, via un certain nombre d’actions dont la création de l’organisme ECO-TLC (Textile Linge de maison Chaussures) en 2008.
De nouvelles mesures ont été lancées dans le cadre de la feuille de route sur l’économie circulaire en 2018 (https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/feuille-route-economie-circulaire-frec) et la loi anti-gaspillage nommé loi AGEC a été promulguée le 10 février 2020. Ses objectifs sont de favoriser la consommation sobre des ressources, utiliser les déchets pour faire de nouvelles ressources, allonger la durée de vie des produits, mettre fin au gaspillage…Cette loi concerne une quinzaine de filières REP (Responsabilité Elargie des Producteurs) dont (électronique, bâtiments, médicaments, jouets, ameublement, TLC, …) et donc autant d’éco-organismes.
Quels sont les projets du SCCF à court et moyen terme sur cette filière ?
A.L/ Le Ministère de la transition écologique a confié la gestion du fonds réemploi à l’éco-organisme Refashion avec lequel le Secours Catholique a signé une convention le 16 octobre 2023, pour la période 2023-2025. La feuille de route fixée concerne deux volets (animés et gérés par le siège national notamment Anne Rouger et moi-même) :
· Renforcer la traçabilité des flux textiles qui transitent sur notre territoire
· Développer des activités qui permettent d’augmenter le taux de réemploi des textiles en local au travers de la mise en place de deux AMIs (Appel à Manifestation d'Intérêt) en interne
Le Secours Catholique a donc démarré la mise en place de ces deux volets auprès d'une vingtaine de délégations en France, dont le Secours Catholique du Gard qui a mis en place dans l'ensemble de ses boutiques la traçabilité par la pesée des flux entrants et sortants, mais aussi en bénéficiant de fonds pour améliorer son taux de réemploi en boutique sur l'AMI de novembre 2023 et Février 2024. A cette occasion, l'expérimentation de la boutique fraternelle itinérante de Bagnols sur Cèze a donc pu bénéficier d'un camion « test and learn » prêté par le siège sur 6 mois.
Concrétement, dans ce paysage, quelles sont les actions concrètes pour le textile au SCCF ?
A.L/ Au Secours Catholique, forts de nos 800 boutiques solidaires et vestiaires, nous devons tirer parti de ces nouvelles mesures tout en restant profondément attachés à nos valeurs d’entraide et d’activités solidaires. Nous sommes à l’aube de profondes transformations avec une économie sociale et solidaire (ESS) au cœur de nos enjeux.
De 2023 à 2028, de nouvelles dispositions vont permettre de soutenir le secteur de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire) à hauteur de 5% des taxes perçues sur les metteurs en marché. Pour le Secours Catholique, il s’agit d’un montant de 542 K€ pour 2023, d’un montant prévisionnel de 620 K€ pour 2024 et du même ordre pour 2025. La traçabilité consiste à mesurer les volumes entrants et sortants de nos boutiques et à déclarer les entreprises repreneur de nos surplus. Les AMIs concernent des projets de réemploi classés en 4 grandes catégories (pédagogie/formation, Remise en état, amélioration des boutiques, création de sites Web, création de nouvelles structures).
Les fonds sont alloués au fil du temps, aux délégations qui souhaitent s’engager. S’ils ne sont pas consommés, ils sont remis dans l’enveloppe globale Refashion l’année suivante pour l’ensemble des structures ESS. Le fonds AMI permet de financer bon nombre de facettes de notre activité textile : labellisation, caractère éco-solidaire des boutiques, diversification de nos moyens d’actions (boutiques itinérante, éphémère, tiers-lieux, …) pour mieux cibler les publics à adresser, financement d’ateliers de couture.
Grâce à ces fonds qui peuvent donner un nouvel élan à nos boutiques, nous pouvons promouvoir, au niveau de nos 738 lieux, l’image d’un Secours Catholique solidaire et responsable. Le montant du fonds de réemploi solidaire, lié aux taxes perçues sur les vêtements neufs peut poser question. Mais confrontés aux gisements déjà existants, si nous ne faisons rien à notre échelle, c'est autant de vêtements qui continueront à partir à l'international.
Quelle est votre analyse de ces bonnes pratiques que nous voyons pousser en France et dans le monde ?
A.L / Je ne suis pas fine connaisseuse mais des sites ont permis à des particuliers de pouvoir ouvrir à grand bras le marché de la seconde main. Aussi, avoir cette démarche personnelle est déjà un pas en avant pour éviter les achats neufs qui restent dans nos placards.
Aujourd’hui les débouchés des textiles en fin de vie sont en pleine évolution. Sous l’impulsion des acteurs de la filière de recyclage, des dizaines de secteurs d’activité de l’économie française sont en mouvement, pour proposer et tester des alternatives parfois simples, mais aussi souvent innovantes. Je pense notamment aux chiffons d'essuyage reconditionnés issus de la collecte des vieux vêtements ou linge de maison, majoritairement en coton. Autre débouché auquel je pense : depuis longtemps, les fibres textiles recyclées servent à produire des isolants pour le secteur automobile européen. Dans le secteur du bâtiment, certains fabricants se sont lancés dans l’utilisation des TLC usagés pour le marché de l’isolant thermique et phonique en rouleau ou en vrac J’ai appris qu’une société rouennaise, U-CLIFE, est devenue le premier éditeur de tissus, matières, imprimés vintage..., avec une gamme exclusive issue de vêtements collectés et triés..
Que peut-on conclure de ces constats et avancées ?
A.L /Nous devons mettre à profit ces fonds pour monter des partenariats avec des petites structures de réemploi en local, et faire de la sensibilisation à la pollution textile, auprès des personnes rencontrées (donateurs, visiteurs). Le fonds de réemploi solidaire nous offre les moyens de mettre en oeuvre de grands pans de notre politique textile (transformation de nos vestiaires en boutique pour aller vers des lieux qui développent le pouvoir d'agir des personnes, mettre en place des ateliers, développer différents formats de boutique à l'échelle d'un territoire pour aller vers de nouveaux publics,...)
Cette démarche vertueuse et éco-responsable de transformation de notre activité textile nous permet également de renforcer le caractère éco-solidaire qu'on veut donner à nos boutiques, en restreignant à notre petite échelle les gisements de vêtements extrêmement polluants, en s'associant localement avec des structures responsables ou en développant au sein de nos boutiques des actions de nettoyage, raccommodage, upcycling...autant de moyens pour que le Secours Catholique Caritas France déploie une transition écologique juste sur l'ensemble de son territoire national. Actuellement nous réfléchissons à travailler cette même démarche éco-solidaire sur la filière mobilier. Mais face aux défis climatiques, économiques et sociaux auxquels le monde est confronté, le Secours Catholique se doit de mettre en place une action toujours au plus près des personnes en difficultés en prenant en compte leur parole et leur savoir d'expérience dans tous les domaines sur lesquels l'association est engagée afin de construire un avenir durable. Je n'en citerais que quelques-uns, au-delà du textile : migrations, mobilité, ruralité, précarité énergétique, logement, accès digne à l'alimentation..
Propos recueillis par Sabine Chabbert