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Questions à Juliana Chermanne, animatrice de territoire et maraudeuse
Contenu national
Thème
Sans abris
Commune
Nîmes

Comment se passe une maraude ? Questions à Juliana Chermanne

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Quelle est votre expérience des sans abri, des personnes de la rue ? 
Pendant plusieurs années, j’étais animatrice au SCCF dans la délégation de l’Hérault, pour la ville de Montpellier. Et j’accompagnais l’équipe de bénévoles de l’accueil de jour du SCCF. L’accueil de jour est un endroit destiné à accueillir les personnes en errance, les personnes à la rue et toute personne en grande précarité. On y trouve quelques services de première nécessité (douche, petit déjeuner) ainsi qu’un espace pause-café, un pôle informatique avec imprimante, un téléphone pour les démarches administratives favorisant l’accès aux droits et/ou pour contacter les proches. Une bagagerie était aussi disponible afin de permettre aux personnes d’y laisser leurs affaires en sécurité pendant un certain temps. 
Les bénévoles étaient à l’écoute des personnes, ils pouvaient apporter quelques conseils et réaliser des orientations vers les partenaires spécifiques. Pendant ces années, j’ai approfondi la manière de rentrer en contact avec les personnes, comment avoir la délicatesse de poser certaines questions, accepter le silence chez certains et à faire face à la révolte qui habitait d’autres. Il est important de trouver l’équilibre entre l’accueil bienveillant et savoir rappeler les règles d’une vie en groupe et d’un accueil collectif.

Comment se passe une maraude ? 
Les maraudes peuvent avoir des objectifs différents, en fonction du but de l’association. 
A Nîmes, depuis l’année 2020, je fais partie, en tant que bénévole, d’une association (Aux Captifs la libération**) qui rend visite aux personnes de la rue une fois par semaine. Nous partons en binôme sur le même circuit et souvent à la même heure, en essayant de rencontrer les mêmes personnes. Le but de cette association est d’aller à la rencontre des personnes à la rue afin de leur apporter un regard bienveillant, de créer du lien. La constance de nos visites aide à construire une relation de confiance. Une fois la confiance installée, les échanges se développent et nous pouvons les encourager dans leurs projets de vie. Parmi les personnes que nous rencontrons, certaines sont dans la rue pour une période, ou en attendant qu’une situation se débloque… Les maraudes réalisées dans le cadre de l’association Aux Captifs la libération sont appelées Tournées rue. Nos premières tournées rue ont été marquées par l’envie de démarrer un dialogue avec ces personnes en grande précarité, d’oser la rencontre. 
Nous avons observé leur étonnement de nous voir arriver pour parler tout simplement. Ce qui nous a frappés, c’est que certaines choses simples étaient devenues presque extraordinaires. Dire « bonjour, comment ça va aujourd’hui ? »…  Regarder les yeux de quelqu’un et lui parler tout simplement ... Je me souviens de la belle couleur des yeux de L. que nous avons rencontré à côté des Halles de Nîmes. Je me souviens de la joie avec laquelle G nous a raconté qu’il avait trouvé un logement, il nous a même montré quelques photos de son petit appartement. 

Rendre visite, cela veut dire quoi ? 
Le terme « rendre visite » n’est pas au sens figuré, c’est vraiment cela que nous faisons : nous partons les mains vides pour les rencontrer dans leur lieu de vie, nous rentrons dans leur espace « privé », là où elles ont leurs habitudes. Quand les personnes ne souhaitent pas notre visite, nous les saluons et nous continuons notre chemin. Au début, ce n’est pas simple, ni pour nous, ni pour elles, elles nous voient arriver pour les saluer, pour prendre un peu de leurs nouvelles, avec discrétion… Cela leur parait bizarre, et parfois elles nous demandent pourquoi nous faisons cela, pourquoi nous venons vers elles. Petit à petit, elles comprennent que nous sommes la maraude du rien, du rien matériel, les mains nues mais pas avec les mains vides. Nous portons en nous l’envie de vivre la rencontre. Cela ne suffit pas, nous le savons bien. Nous travaillons en collaboration avec les autres associations partenaires, avec les services d’aide sociale.

Constatez-vous une évolution du nombre et des profils de gens de la rue? 
Les situations et les causes qui conduisent à une perte de logement et à une vie dans la rue sont très variées. Se retrouver dans la rue ce n’est pas quelque chose de figé ou encore moins prédestiné. On y trouve des personnes avec un parcours de vie complexe, certaines sont issues des foyers d’accueil social (ASE), d’autres sont porteuses d’un handicap, d’autres ont fait le choix de vivre en errance, et il y a aussi des personnes migrantes, tout aussi vulnérables. 
Les parcours de vie sont souvent complexes, marqués par des ruptures et/ou par des grands changements de vie (déceptions, divorce, perte d’emploi, perte de motivation, maladie, perte de droits, épisode d’incarcération, addictions, …). Une partie des personnes à la rue vit une forme d’addiction qui peut-être une cause ou une conséquence de cette vie dans la rue.
Dans certaines villes, on observe un nombre plus important de femmes et même des enfants sans domicile fixe, ils vivent dans des squats et sont hébergés par des amis. Des familles entières peuvent aussi se retrouver dehors.

Quels sont les besoins les plus importants pour eux ? 
Les besoins sont multiples, et s’il y a vraiment l’urgence du logement et de la mise en sécurité, il y a aussi ce besoin crucial du lien social, d’accès à l’hygiène et aux soins. Le besoin alimentaire est bien évidemment aussi présent. N’oublions pas qu’il existe aussi de la solidarité et de l’entraide entre les personnes. Et ce besoin de sécurité et d’amitié se révèle aussi par la présence des animaux de compagnie.

Avec les bénéficiaires du SCCF, comment prévenir ce passage vers la rue et que fait le SCCF pour éviter cela ? 
La politique des aides du SCCF vise à éviter la bascule, éviter que la situation ne se dégrade. Pour cela, il est essentiel que ce travail se fasse en collaboration avec les partenaires associatifs et que le dialogue s’instaure avec les instances publiques. L’action de plaidoyer avec les partenaires est très importante afin d’appuyer la parole des personnes concernées. 
 

Propos recueillis par Sabine Chabbert

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 « les mots pour le dire »
** Créée en 1981, Aux captifs, la libération est une association catholique de bénévoles et de professionnels, dont la mission est d’aller vers les personnes en très grande précarité, sans logement ou en situation de prostitution, quelles que soient leurs origines et leurs croyances, et de les accompagner pour les aider à trouver des chemins de libération L’antenne de la Paroisse Saint-Charles à Nîmes a été créée en 2020. Ses bénévoles effectuent toutes les semaines à la même heure en binôme des « tournées-rue à mains nues » auprès des personnes sans-abri. Une prière-rue a lieu tous les mois.