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Gard

"L’aide alimentaire en France vient d’entrer dans une nouvelle ère" analyse Laurent Seux

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Avec l’appel lancé par les Restos du cœur le 3 septembre dernier, l’aide alimentaire en France vient d’entrer dans une nouvelle ère.
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Laurent Seux, responsable au Secours Catholique du programme "Ensemble, bien vivre, bien manger", livre son analyse sur l'aide alimentaire. 

 

Derrière la question des moyens financiers, une réalité : le nombre de personnes qui n’arrivent pas à se nourrir explose. 140 millions de repas servis par les Restos en 2021, 170 millions en 2022, plus de 180 attendus fin 2023. C’est plus que ce que les Restos sont en capacité de gérer. Leur organisation est dépassée. Les bénévoles ne peuvent plus faire face.

Les Restos appellent donc à enrayer la pauvreté qui contraint des millions de personnes à demander de l'aide pour se nourrir sans avoir à payer. Nous savons pourquoi : pris en étau entre des revenus qui stagnent et la flambée des prix, de l’alimentation mais aussi de l’énergie, les personnes en précarité n’ont pas d’autre choix.

Sonya Fares, bénévole, membre du bureau de la délégation du Rhône en témoigne : « Maintenant l'anti-gaspi c’est trop cher, avant c’était un bon plan pour moi, maintenant c’est fini. Un produit acheté, un offert ne suffit plus, je n'arrive même pas à payer le premier. Je ne prends plus en grosse quantité, je prends petit à petit, pour demain c’est un calcul qui rythme ma vie. Il y a des jours ça passe et d’autre cela ne passe pas. Je cache des choses, j’évite les invitations parce que je ne peux pas rendre. »

La honte ressentie par les personnes qui dépendent de l’aide alimentaire pour se nourrir est connue, documentée. C’est pourquoi le Secours Catholique cherche à promouvoir l’accès digne de toutes et tous à une alimentation durable et de qualité, par des projets où chacun peut s’investir et participer.

La qualité, c’est l’autre versant du problème. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) l’a pointé dans son rapport de 2019 sur l’aide alimentaire. D’un point de vue nutritionnel et gustatif, les produits laissent à désirer. Mais qu’attendre d’un système qui repose essentiellement sur les rebuts de la grande distribution et la production à bas coûts d’aliments pour les pauvres ? Une pauvre alimentation.

L’État commence à prendre la mesure de ces problèmes. Le fonds Mieux Manger pour tous, lancé au printemps dernier, vise à améliorer la qualité de l’aide alimentaire en soutenant l’achat et la distribution de fruits, légumes, légumineuses et produits sous label de qualité. Il soutient – timidement - par ailleurs, les projets locaux de coopération et des expérimentations d’accessibilité financière comme les chèques ou les caisses alimentaires.

C’est bien mais c’est peu, cela arrive tard, sans être à la hauteur des enjeux. Le Pacte des solidarités qui vient d’être annoncé est muet sur la question des revenus. L’action du gouvernement pour obtenir la baisse des prix est sans effets. L’étau ne se desserre pas.     

La brèche est pourtant ouverte. Dans l’opinion publique comme au sein de nos associations la conviction que l’accès à l’alimentation est une question de justice mais aussi de durabilité grandit. L’appel du pape François à la FAO* en 2014  continue de retentir : « La lutte contre la faim et la malnutrition est souvent bloquée par la priorité du marché et la dictature du profit qui réduisent les aliments à une marchandise sujette à la spéculation. Tandis qu’on parle de nouveaux droits, l’affamé est au coin de la rue à demander d’être inclus dans la société et d’avoir le pain quotidien. C’est la dignité qu’il demande, non l’aumône… »

Nous avons fait le choix au Secours Catholique de répondre à cet appel. Parce que la dignité est pour nous une valeur cardinale, parce que nous pensons comme le pape que le droit à l’alimentation est un droit inaliénable.

Chacun de nos projets qui s’inscrit dans la visée d’un accès digne à une alimentation durable et de qualité est un pas dans cette direction. Chacune de nos mobilisations locales pour l’accès de tous les enfants aux cantines, pour la prise en compte des enjeux de précarité alimentaire dans les projets alimentaires territoriaux est une avancée.

D’autres sont en route avec nous, cherchent et expérimentent, des défenseurs de la sécurité sociale de l’alimentation aux associations alimentaires qui s’interrogent. Le système de l’aide alimentaire, paravent dépassé d’une lutte contre la pauvreté indigente est à bout de souffle. Faisons de cette crise une opportunité. L’ère qui s’ouvre est un appel à l’engagement.

* L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (Food and agriculture organisation) est l’agence spécialisée des Nations Unies qui mène les efforts internationaux vers l’élimination de la faim dans le monde.

Propos recueillis par Sabine Chabbert